Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/97

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Les rois sont-ils donc de tels monstres, qu’il faille regarder un souhait pareil comme une vertu royale.

— Si c’était des volailles maigres qu’il leur souhaitait, dit Célia, cela n’était pas si beau ; mais peut-être était-ce des volailles grasses ?

— Oui ; mais le mot ne se trouve pas dans la phrase, ou peut-être était-il subauditum, c’est-à-dire présent dans l’esprit du roi et non prononcé, ajouta M. Casaubon en souriant et en inclinant la tête vers Célia, qui s’empressa de se reculer un peu, car elle ne pouvait souffrir que M. Casaubon la regardât en clignotant.

Dorothée devint silencieuse en reprenant le chemin de la maison. Elle sentait avec une sorte de désappointement humiliant, qu’il n’y avait rien à faire pour elle à Lowick, et dans les quelques minutes qui suivirent, elle songeait déjà qu’elle eût préféré trouver sa future demeure dans une paroisse plus largement dotée de toutes les misères de ce monde afin d’y trouver elle-même plus de devoirs actifs à remplir. Puis, revenant à l’avenir qui s’ouvrait devant elle, elle se fit l’image d’une vie plus complètement dévouée à l’œuvre de son mari, jusqu’au jour où de nouveaux devoirs s’imposeraient à elle. Quelques-uns se révéleraient peut-être alors à son intelligence agrandie et élevée au contact de celle de M. Casaubon.

M. Tucker les quitta bientôt ; quelque affaire professionnelle ne lui permettait pas de rester à déjeuner au manoir ; comme ils revenaient au jardin par la petite porte, M. Casaubon prit la parole :

— Vous me paraissez un peu triste, Dorothée ne seriez-vous pas satisfaite de ce que vous venez de voir ?

— Ce que je ressens est peut-être mal ou insensé, répondit Dorothée avec sa franchise ordinaire ; je souhaiterais presque que les pauvres gens d’ici fussent plus nécessiteux. J’ai eu si rarement l’occasion de me rendre utile ! Sans