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sentit que l’occasion qu’on l’avait empêchée de provoquer était venue pour elle. Dans sa demeure somptueuse, se promenant sous les ombrages des grands arbres de ses jardins, sa pensée errante s’attachait au sort des autres, et les mouvements de son cœur demeuraient emprisonnés. L’idée de quelque bien à faire à sa portée la hantait comme une passion, et une fois que le secours réclamé par un de ses semblables s’était présenté à elle sous une forme définie, il s’imposait à son désir avec une ardeur et un espoir d’y remédier, qui lui rendaient insipide la facilité de sa vie. Elle était pleine de confiance dans cette entrevue avec Lydgate, ne tenant nul compte de ce qu’on disait de la réserve personnelle de l’homme, et ne s’arrêtant pas à l’idée qu’elle était une très jeune femme. Rien n’eût semblé plus déplacé à Dorothée que de s’occuper de sa jeunesse et de son sexe, alors qu’elle était poussée par ce puissant mobile de la sympathie humaine.

Comme elle était assise à l’attendre dans la bibliothèque, elle en vint tout naturellement à se rappeler toutes les scènes passées qui avaient amené Lydgate dans ses souvenirs. Elles se rapportaient toutes à son mariage et aux soucis de son mariage. Il y avait cependant deux circonstances où l’image de Lydgate était venue s’associer péniblement à celle de sa femme et d’une autre personne encore. La peine que Dorothée en avait ressentie s’était calmée, non sans lui laisser un soupçon toujours en éveil de ce que le mariage de Lydgate pouvait être pour lui, et une extrême promptitude à saisir la moindre allusion qu’on faisait à Rosemonde. Ces pensées étaient pour elle comme un drame qui donnait de l’éclat à ses yeux et à tout son corps une attitude d’attente, tout en regardant, par la fenêtre de la sombre bibliothèque, le gazon du jardin et les bourgeons verts et brillants se détachant en relief sur les sapins noirs.

À l’entrée de Lydgate, elle fut presque saisie du change-