Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/441

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Ici, dans le rapprochement d’un sympathique sourire, dans le vibrant souvenir de leurs mutuelles paroles, elle voyait la brillante créature en qui elle avait cru, qui était venue à elle comme l’esprit du matin visitant la sombre voûte où elle était assise, jeune épouse d’une vie déjà usée ; et aujourd’hui, avec l’entière et toute nouvelle conscience de ses sentiments, elle lui tendait les bras et s’écriait en sanglots amers que leur rapprochement n’avait été qu’un rêve, et que ce rêve s’éloignait ; c’était au libre épanchement de son désespoir qu’elle faisait la découverte de sa passion.

Puis là, à l’écart, c’était encore Will Ladislaw, toujours avec elle, allant partout où elle allait, mais ce n’était plus le même ; il ne représentait plus qu’une foi détruite et sans espérance, une illusion à jamais évanouie, et, plus que tout cela, un homme vivant vers lequel nul gémissement de pitié ni de regret ne pouvait plus se faire jour à travers le mépris et l’indignation de l’orgueil jaloux et blessé. Il fallut du temps à Dorothée pour épuiser tout le feu de sa colère ; il éclatait en retours d’accès violents, où elle l’accablait des reproches de son mépris. Pourquoi était-il venu, mêlant de force sa vie à la sienne, qui n’avait pas besoin de lui pour être complète ? Pourquoi lui avait-il apporté ses hommages de mauvais aloi et ses paroles, qui n’étaient que sur les lèvres, à elle qui n’avait rien que de sincère à donner en échange ? Il savait qu’il la trompait, il voulait, au moment même de leurs adieux, lui faire croire qu’il lui donnait tout le prix que valait son cœur de femme, alors qu’il savait avoir déjà dépensé ailleurs à peu près tout ce qu’il aurait pu donner. Pourquoi n’était-il pas resté parmi la foule de ceux dont elle ne demandait rien, auxquels elle se contentait dans ses prières de souhaiter une meilleure vie ?

Mais elle perdit enfin jusqu’à la force d’exhaler tout haut ses cris et ses gémissements ; elle ne poussa plus que d’im-