Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/210

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

choses se fabriquaient par les ébénistes, tout le monde voudrait en avoir à la campagne. »

Il est une leçon que nous apprenons de bonne heure — à savoir, qu’en dépit des différences apparentes, les hommes sont tous faits sur le même modèle. Nous le prenons volontiers pour accordé quand il s’agit de nos compagnons, et si nous découvrons que nous les devançons, que leurs montres sont en retard sur les nôtres, ce nous est un désappointement et une irritation. En réalité, le seul péché qu’on ne se pardonne jamais l’un à l’autre, c’est la différence des opinions. Nous savons d’avance que cet homme là-bas doit penser comme nous. N’a-t-il pas deux mains, deux pieds, des cheveux et des ongles ? Ne peut-il manger, saigner, rire, pleurer ? Si son opinion diffère de la mienne, c’est affectation pure. Cette conclusion est à la fois celle de la logique de la persécution et celle de l’amour. Et le fondement de notre indignation, c’est la conviction que son dissentiment procède d’une sorte d’opiniâtreté qu’il s’impose à lui-même. Il arrête le cours de son idée, comme la vache de méchante humeur retient son lait. Oui, et nous le regardons dans les yeux, et voyons qu’il s’en rend compte, et que son regard nous évite.

Mais, pour arriver un peu plus près du but, je dois dire qu’il peut aisément se trouver des obstacles sur la voie du pur élément que nous cherchons ; mais quand nous le trouvons, il vaut la peine de le poursuivre car, sans parler de sa puissance réconfortante en tant que remède et tonique, une fois que nous sommes dans la société qui nous convient, des valeurs nouvelles et immenses ne manquent pas d’apparaître.