Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grand qu’une peau de veau ». Et je me souviens de deux jeunes filles irlandaises qui, après avoir été emportées dans une voiture par un cheval ombrageux, disaient que quand le cheval avait commencé à se cabrer, elles avaient été si effrayées qu’elles n’avaient pu voir l’animal.

La poltronnerie fait fermer les yeux au point que le ciel ne paraît pas plus grand qu’une peau de veau, fait fermer les yeux au point que nous ne voyons plus le cheval qui nous emporte et, ce qui est pire, elle ferme les yeux de l’esprit et glace le cœur. La peur est cruelle et vile. Les règnes de terreur politiques ont été des règnes de folie et de méchanceté, une perversion totale de l’opinion ; la société est sens dessus dessous, et on estime que les meilleurs hommes sont trop mauvais pour vivre. Aussi la sécurité que donne une maison, une famille, le voisinage, la propriété, et même la première accumulation d’épargnes, contribue à toutes les époques à produire cette dégénérescence des classes respectables. Voltaire disait : « Un des plus grands malheurs des honnêtes gens, c’est qu’ils sont des lâches. » Que les partis politiques qui réunissent les éléments bien disposés de la société sont impuissants et vulgaires ! Comme leurs lèvres sont pâles ! Ils sont toujours sur la défensive, comme si la direction était confiée aux journaux, souvent écrits en grande partie par des femmes et de jeunes garçons qui, étant sans force, désirent maintenir les apparences de la force. Ils peuvent faire les hurras, placarder des affiches, arborer des drapeaux — et voter, si la journée est belle ; mais l’attitude combative des hommes qui veulent que le bien soit, ne saurait être plus long-