Page:Emerson - Société et solitude, trad. Dugard.djvu/48

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sinage. Le plaisir de l’éloquence est souvent dû en grande partie au stimulant des circonstances qui l’ont fait naître — à ce pouvoir magique de la sympathie, qui exalte les sentiments de l’individu en faisant rayonner sur chacun les sentiments de tous.

Comme l’influence de la musique vient de l’endroit — par exemple, de l’église, de la promenade au clair de lune ; ou bien encore de la société ; ou, si c’est au théâtre, de ce qui précédait dans la pièce, ou de l’attente de ce qui viendra après !

Dans la poésie, « c’est la tradition plus que l’invention qui aide le poète en sa fiction heureuse ». Le caractère accidentel de la beauté de la poésie peut se sentir dans ce fait qu’un vers donne plus de plaisir en une citation bien choisie que dans le poème lui-même.

Une preuve curieuse de notre conviction que l’artiste ne se sent pas le créateur de son œuvre, et est aussi surpris de son influence que nous le sommes nous-mêmes, c’est notre mauvais vouloir marqué à attribuer à l’auteur d’une œuvre d’art notre meilleure interprétation. Le plus haut éloge que nous puissions faire d’un écrivain, d’un peintre, d’un sculpteur, d’un constructeur, c’est de dire qu’il avait réellement en lui la pensée ou le sentiment avec lesquels il nous a inspirés. Nous hésitons à faire à Spencer un honneur aussi grand que celui de croire qu’il donnait à son allégorie le sens que nous y attachons. Nous accordons à contre-cœur à Homère la vaste expérience humaine que ses commentateurs lui attribuent. Shakespeare lui-même, de qui nous pouvons tout croire, nous paraît redevable à Gœthe