Page:Emery - Vierges en fleur, 1902.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
VIERGES EN FLEUR

— Tu me plains ?

— Oui, je te juge digne de toute ma pitié.

— Je t’assure pourtant que je suis très heureux.

— Mais que fais-tu ici ?

— Je dors, je bois, je mange, je fume, je circule, je fais l’amour. C’est tout.

— Mais qui donc t’amena ici ?

— Ma femme.

— Ah ! tu es marié ?

— Depuis deux ans.

— Je l’ignorais.

— C’est vrai. J’ai disparu subitement. J’ai quitté mes amis. J’ai renoncé à cette vie parisienne que j’aimais tant. Moi l’élégant fêtard, le joyeux compagnon, tu me vois transformé en bon rural. La cause ? Tu devines. Cherche la femme. Une a mis le grappin sur moi. C’est notre sort, à tous. Comme aux autres, ton tour viendra, mon bon.

— Je proteste très fort.

— Naïf… Quelques années encore, et tu seras lié, ligotté, entravé. Vois-tu, l’heure fatale sonne inéluctablement, pour nous les vieux routeurs des écumes de Paris, les sceptiques, les blasés, aussi bien que pour les autres. Il n’est pas d’exception à la règle : la sirène nous guette dans l’ombre, profite d’un moment où notre force va-