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XII

LATIN MÉROVINGIEN

La déclinaison latine en Gaule à l’époque mérovingienne, étude sur les origines de la langue française, par M. H. d’Arbois de Jubainville. Paris, 1872[1].


Sommaire. — Celui qui a une teinture de la latinité et qui aura lu quelques-uns des textes cités par M. de Jubainville, se sera certainement frotté les yeux, se demandant si c’était vraiment en latin qu’avaient prétendu écrire les auteurs de pareils documents. Cette question, que je me suis faite, m’a longtemps arrêté. Après y avoir beaucoup réfléchi, je suis venu à penser que c’était ainsi qu’on parlait dans les temps mérovingiens, c’est-à-dire qu’on étouffait les finales, et que tout le tort des scribes d’alors est d’avoir, au hasard, mis des terminaisons latines là où le langage populaire les avait remplacées par des terminaisons sourdes ou muettes. À en juger par ces échantillons, il semble que le latin mourut d’abord par ses finales ; c’était en effet la partie la plus délicate de son organisme, et elle succomba la première sous l’influence délétère d’un milieu inclément.
Rien d’aussi barbare en fait de langue n’avait paru avant les Mérovingiens ; rien d’aussi barbare ne parut après. Comme les choses sociales sont connexes, on a là un moyen approximatif d’évaluer jusqu’à quel point les éléments essentiels de la civilisation avaient été lésés par l’invasion germanique dans les Gaules. Je pense donc, d’après le document de la déclinaison latine, que la période où la barbarie pesa le plus lourdement sur les Gaules, où la culture romaine y fut au plus bas, est celle de l’établissement des Francs et de leurs chefs. Ce fond de l’abîme une fois touché, la force inhérente à la civilisation réagit non sans succès ; car elle émanait de deux éléments qui gardaient une grande place dans le monde barbare, l’Église chrétienne et la tradition latine. Ils se soutenaient l’un l’autre.

Le cas anglais, sur une moindre échelle, n’est pas sans analogie

  1. Journal des savants, octobre 1873, p. 615.