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AU BONHEUR DES DAMES.

débordait, elle plongeait les mains dans ce flot montant de guipures, de malines, de valenciennes, de chantilly, les doigts tremblants de désir, le visage peu à peu chauffé d’une joie sensuelle ; tandis que Blanche, près d’elle, travaillée de la même passion, était très pâle, la chair soufflée et molle.

Cependant, la conversation continuait, Hutin les aurait giflées, immobile, attendant leur bon plaisir.

— Tiens ! dit madame Marty, vous regardez des cravates et des voilettes pareilles aux miennes.

C’était vrai, madame de Boves, que les dentelles de madame Marty tourmentaient depuis le samedi, n’avait pu résister au besoin de se frotter du moins aux mêmes modèles, puisque la gêne où son mari la laissait ne lui permettait pas de les emporter. Elle rougit légèrement, elle expliqua que Blanche avait voulu voir les cravates de blonde espagnole. Puis, elle ajouta :

— Vous allez aux confections… Eh bien ! à tout à l’heure. Voulez-vous dans le salon oriental ?

— C’est ça, dans le salon oriental… Hein ? superbe !

Elles se séparèrent en se pâmant, au milieu de l’encombrement produit par la vente des entre-deux et des petites garnitures à bas prix. Deloche, heureux d’être occupé, s’était remis à vider les cartons devant la mère et la fille. Et, lentement, parmi les groupes pressés le long des comptoirs, l’inspecteur Jouve se promenait de son allure militaire, étalant sa décoration, gardant ces marchandises précieuses et fines, si faciles à cacher au fond d’une manche. Quand il passa derrière madame de Boves, surpris de la voir les bras plongés dans un tel flot de dentelles, il jeta un regard vif sur ses mains fiévreuses.

— À droite, mesdames, dit Hutin en reprenant sa marche.

Il était hors de lui. N’était-ce donc pas assez de lui