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AU BONHEUR DES DAMES.

direction le temps de prendre un parti, venait d’envoyer Robineau au rassortiment.

— Nous préférons nous en aller tous, si on le garde, déclarait Hutin.

Cette affaire ennuyait Bouthemont, dont la gaieté s’accommodait mal d’un tel tracas intérieur. Il souffrait de ne plus avoir autour de lui que des visages renfrognés. Pourtant, il voulait être juste.

— Voyons, laissez-le tranquille, il ne vous fait rien.

Mais des protestations éclataient.

— Comment ! il ne nous fait rien ?… Un être insupportable, toujours nerveux, et qui vous passerait sur le corps, tant il est fier !

C’était la grande rancune du rayon. Robineau, avec des nerfs de femme, avait des raideurs et des susceptibilités inacceptables. On racontait vingt anecdotes, un petit jeune homme qui en était tombé malade, jusqu’à des clientes qu’il avait humiliées par ses remarques cassantes.

— Enfin, messieurs, dit Bouthemont, je ne peux rien prendre sur moi… J’ai averti la direction, je vais en causer tout à l’heure.

On sonnait la seconde table, une volée de cloche montait du sous-sol, lointaine et assourdie dans l’air mort du magasin. Hutin et Favier descendirent. De tous les comptoirs, des vendeurs arrivaient un à un, débandés, se pressant en bas, à l’entrée étroite du couloir de la cuisine, un couloir humide que des becs de gaz éclairaient continuellement. Le troupeau s’y hâtait, sans un rire, sans une parole, au milieu d’un bruit croissant de vaisselle et dans une odeur forte de nourriture. Puis, à l’extrémité du couloir, il y avait une halte brusque, devant un guichet. Flanqué de piles d’assiettes, armé de fourchettes et de cuillers qu’il plongeait dans des bassines de cuivre, un cuisinier y distribuait les portions.