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AU BONHEUR DES DAMES.

qu’elle écrivait d’une main machinale, au milieu de l’appel régulier des articles, un apaisement se faisait en elle. Toujours elle avait cédé ainsi au premier excès de sa sensibilité : des larmes la suffoquaient, sa passion doublait ses tourments ; puis, elle rentrait dans sa raison, elle retrouvait un beau courage calme, une force de volonté douce et inexorable. Maintenant, les yeux limpides, le teint pâle, elle était sans un frisson, toute à sa besogne, résolue à s’écraser le cœur et à ne faire que son vouloir.

Dix heures sonnèrent, le vacarme de l’inventaire montait, dans le branle-bas des rayons. Et, sous les cris, jetés sans relâche, qui se croisaient de toutes parts, la même nouvelle circulait avec une rapidité surprenante : chaque vendeur savait déjà que Mouret avait écrit le matin, pour inviter Denise à dîner. L’indiscrétion venait de Pauline. En redescendant, secouée encore, elle avait rencontré Deloche aux dentelles ; et, sans remarquer que Liénard parlait au jeune homme, elle s’était soulagée.

— C’est fait, mon cher… Elle vient de recevoir la lettre. Il l’invite pour ce soir.

Deloche était devenu blême. Il avait compris, car il questionnait souvent Pauline, tous deux causaient chaque jour de leur amie commune, du coup de tendresse de Mouret, de l’invitation fameuse qui finirait par dénouer l’aventure. Du reste, elle le grondait d’aimer secrètement Denise, dont il n’aurait jamais rien, et elle haussait les épaules, quand il approuvait la jeune fille de résister au patron.

— Son pied va mieux, elle descend, continuait-elle. Ne prenez donc pas cette figure d’enterrement… C’est une chance pour elle, ce qui arrive.

Et elle se hâta de retourner à son rayon.

— Ah ! bon ! murmura Liénard qui avait entendu, il s’agit de la demoiselle à l’entorse… Eh bien ! vous aviez