Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
AU BONHEUR DES DAMES.

pour cette mise en vente, après les sommes considérables payées aux maçons, le capital entier se trouvait dehors : une fois de plus, il s’agissait de vaincre ou de mourir. Et lui, au milieu de cet effarement, gardait une gaieté triomphante, une certitude des millions, en homme adoré des femmes, et qui ne peut être trahi. Lorsque Bourdoncle se permit de témoigner certaines craintes, à propos du développement exagéré donné à des rayons dont le chiffre d’affaires restait douteux, il eut un beau rire de confiance, en criant :

— Laissez donc, mon cher, la maison est trop petite !

L’autre parut abasourdi, pris d’une peur qu’il ne cherchait plus à cacher. La maison trop petite ! une maison de nouveautés où il y avait dix-neuf rayons, et qui comptait quatre cent trois employés !

— Mais sans doute, reprit Mouret, nous serons forcés de nous agrandir avant dix-huit mois… J’y songe sérieusement. Cette nuit, madame Desforges m’a promis de me faire rencontrer demain chez elle avec une personne… Enfin, nous en causerons, quand l’idée sera mûre.

Et, ayant fini de signer les traites, il se leva, il vint donner des tapes amicales sur les épaules de l’intéressé, qui se remettait difficilement. Cet effroi des gens prudents, autour de lui, l’amusait. Dans un des accès de brusque franchise, dont il accablait parfois ses familiers, il déclara qu’il était au fond plus juif que tous les juifs du monde : il tenait de son père, auquel il ressemblait physiquement et moralement, un gaillard qui connaissait le prix des sous ; et, s’il avait de sa mère ce brin de fantaisie nerveuse, c’était là peut-être le plus clair de sa chance, car il sentait la force invincible de sa grâce à tout oser.

— Vous savez bien qu’on vous suivra jusqu’au bout, finit par dire Bourdoncle.

Alors, avant de descendre dans le magasin jeter leur