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L’ŒUVRE.

— Dame ! j’ai eu si peu de leçons de maman !… Moi, j’aime que ce soit bien fait et que ça plaise. 

Alors, il éclata franchement de rire.

— Avouez que ma peinture vous rend malade. Je l’ai remarqué, vous pincez les lèvres, vous arrondissez des yeux de terreur… Ah ! certes, ce n’est pas de la peinture pour les dames, encore moins pour les jeunes filles… Mais vous vous y accoutumerez, il n’y a là qu’une éducation de l’œil ; et vous verrez que c’est très sain et très honnête, ce que je fais là. 

En effet, peu à peu, Christine s’accoutuma. La conviction artistique n’y entra pour rien d’abord, d’autant plus que Claude, avec son dédain des jugements de la femme, ne l’endoctrinait pas, évitant au contraire de parler art avec elle, comme s’il eût voulu se réserver cette passion de sa vie, en dehors de la passion nouvelle qui l’envahissait. Seulement, elle glissait à l’habitude, elle finissait par éprouver de l’intérêt pour ces toiles abominables, en voyant quelle place souveraine elles tenaient dans l’existence du peintre. Ce fut sa première étape, elle s’attendrit de cette rage du travail, de ce don absolu de tout un être : n’était-ce pas touchant ? n’y avait-il pas là quelque chose de très bien ? Puis, lorsqu’elle remarqua les joies et les douleurs qui le bouleversaient, à la suite d’une bonne séance ou d’une mauvaise, elle arriva d’elle-même à se mettre de moitié dans son effort. Elle s’attristait, si elle le trouvait triste ; elle s’égayait, quand il l’accueillait gaiement ; et, dès lors, ce fut sa préoccupation : avait-il beaucoup travaillé ? était-il content de ce qu’il avait fait, depuis leur dernière entrevue ? Au bout du deuxième mois, elle était conquise, elle se plantait devant les toiles, n’en avait plus peur, n’approuvait toujours pas beau-