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LES ROUGON-MACQUART.

— Est-ce que tu as vu mon actrice, au Salon ? Aimes-tu ça, franchement ?

Claude hésita une seconde, puis en bon camarade :

— Oui, il y a des choses très bien.

Déjà, Fagerolles saignait d’avoir posé cette question stupide ; et il achevait de perdre pied, il s’excusait maintenant, tâchait d’innocenter ses emprunts et de plaider ses compromis. Lorsqu’il s’en fut tiré à grand’peine, exaspéré contre sa maladresse, il redevint un instant le farceur de jadis, fit rire aux larmes Claude lui-même, les amusa tous. Puis, il tendit la main à Henriette, pour prendre congé.

— Comment ! vous nous quittez si vite ?

— Hélas ! oui, chère madame. Mon père traite ce soir un chef de bureau, qu’il travaille pour la décoration… Et, comme je suis un de ses titres, j’ai dû jurer de paraître.

Lorsqu’il fut parti, Henriette, qui avait échangé quelques mots tout bas avec Sandoz, disparut ; et l’on entendit le bruit léger de ses pas au premier étage : depuis le mariage, c’était elle qui soignait la vieille mère infirme, s’absentant ainsi à plusieurs reprises dans la soirée, comme le fils autrefois.

Du reste, pas un des convives n’avait remarqué sa sortie. Mahoudeau et Gagnière causaient de Fagerolles, se montraient d’une aigreur sourde, sans attaque directe. Ce n’était encore que des regards ironiques de l’un à l’autre, des haussements d’épaules, tout le muet mépris de garçons qui ne veulent pas exécuter un camarade. Et ils se rabattirent sur Claude, ils se prosternèrent, l’accablèrent des espérances qu’ils mettaient en lui. Ah ! il était temps qu’il revînt, car lui seul, avec ses dons de grand peintre,