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LES ROUGON-MACQUART.

— Tiens ! est-ce que tu as froid ?

— Oui, un peu.

— C’est drôle, moi je brûle… Je ne veux pas que tu t’enrhumes. À demain. 

Comme il descendait, elle crut qu’il venait l’embrasser. D’habitude, par une dernière galanterie de mari, il payait d’un baiser rapide l’ennui de la séance. Mais, plein de son travail, il oublia, il lava tout de suite ses pinceaux, qu’il trempait, agenouillé, dans un pot de savon noir. Et elle, qui attendait, restait nue, debout, espérant encore. Une minute se passa, il fut étonné de cette ombre immobile, il la regarda d’un air de surprise, puis recommença à frotter énergiquement. Alors, les mains tremblantes de hâte, elle se rhabilla, dans une confusion affreuse de femme dédaignée. Elle enfilait sa chemise, se battait avec ses jupes, agrafait son corsage de travers, comme si elle eût voulu échapper à la honte de cette nudité impuissante, bonne désormais à vieillir sous les linges. Et c’était un mépris d’elle-même, un dégoût d’en être descendue à ce moyen de fille, dont elle sentait la bassesse charnelle, maintenant qu’elle était vaincue.

Mais, dès le lendemain, Christine dut se remettre nue, dans l’air glacé, sous la lumière brutale. N’était-ce pas son métier, désormais ? Comment se refuser, à présent que l’habitude en était prise ? Jamais elle n’aurait causé un chagrin à Claude ; et elle recommençait chaque jour cette défaite de son corps. Lui, n’en parlait même plus, de ce corps brûlant et humilié. Sa passion de la chair s’était reportée dans son œuvre, sur les amantes peintes qu’il se donnait. Elles faisaient seules battre son sang, celles dont chaque membre naissait d’un de ses efforts. Là-