Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/117

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bête », malgré sa science ; non qu’elle soupçonnât le moins du monde l’honnêteté parfaite de leur ami, qu’elle voyait si dévoué à leur fortune ; mais elle avait une singulière sensation de terrain mouvant, une inquiétude de chute et d’engloutissement, au premier faux pas.

Ce matin-là, Saccard, lorsque Daigremont l’eut quitté, monta rayonnant à la salle des épures.

— Enfin, c’est fait ! cria-t-il.

Hamelin, saisi, les yeux humides, vînt lui serrer les mains, à les briser. Et, comme madame Caroline s’était simplement tournée vers lui, un peu pâle, il ajouta :

— Eh bien ! quoi donc, c’est tout ce que vous me dites ?… Ça ne vous fait pas plus de plaisir, à vous ?… 

Elle eut un bon sourire.

— Mais si, je suis très contente, très contente, je vous assure. 

Puis, quand il eut donné à son frère des détails sur le syndicat, définitivement formé, elle intervint de son air paisible.

— Alors, c’est permis, n’est-ce pas ? de se réunir ainsi à plusieurs, pour se distribuer les actions d’une banque, avant même que l’émission soit faite ?

Violemment, il eut un geste d’affirmation.

— Mais, certainement, c’est permis !… Est-ce que vous nous croyez assez niais, pour risquer un échec ? Sans compter que nous avons besoin de gens solides, maîtres du marché, si les débuts sont difficiles… Voilà toujours les quatre cinquièmes de nos titres placés en des mains sûres. On va pouvoir aller signer l’acte de société chez le notaire. 

Elle osa lui tenir tête.

— Je croyais que la loi exigeait la souscription intégrale du capital social. 

Cette fois, très surpris, il la regarda en face.

— Vous lisez donc le Code ?

Et elle rougit légèrement, car il avait deviné : la veille, cédant à son malaise, cette peur sourde et sans cause pré-