Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce dernier trait. Et le terrible corsaire, qui avait déjà écumé tant de fortunes, finit par éclater d’un bon rire, résolu honnêtement à l’enrichir aussi, cet homme de foi.

— Mais, mon brave, ça ne se fait point ainsi… Gardez votre argent, je vous inscrirai, et vous paierez en temps et lieu. 

Cette fois, il les congédia, après que Dejoie l’eut fait remercier par Nathalie, dont un sourire de contentement éclairait les beaux yeux durs et candides.

Lorsque Maxime se retrouva enfin seul avec son père, il dit, de son air d’insolence moqueuse :

— Voilà que tu dotes les jeunes filles, maintenant.

— Pourquoi pas ? répondit gaiement Saccard. C’est un bon placement que le bonheur des autres.

Il rangeait quelques papiers, avant de quitter son cabinet. Puis, brusquement :

— Et toi, tu n’en veux pas, des actions ?

Maxime, qui marchait à petits pas, se retourna d’un sursaut, se planta devant lui.

— Ah ! non, par exemple ! Est-ce que tu me prends pour un imbécile ? 

Saccard eut un geste de colère, trouvant la réponse d’un irrespect et d’un esprit déplorables, prêt à lui crier que l’affaire était réellement superbe, qu’il le jugeait vraiment trop bête, s’il le croyait un simple voleur, comme les autres. Mais, en le regardant, une pitié lui vint de son pauvre garçon, épuisé à vingt-cinq ans, rangé, avare même, si vieilli de vices, si inquiet de sa santé, qu’il ne risquait plus une dépense ni une jouissance, sans en avoir réglementé le bénéfice. Et, tout consolé, tout fier de l’imprudence passionnée de ses cinquante ans, il se remit à rire, il lui tapa sur l’épaule.

— Tiens ! allons déjeuner, mon pauvre petit, et soigne tes rhumatismes. 

Ce fut le surlendemain, le 5 octobre, que Saccard, assisté d’Hamelin et de Daigremont, se rendit chez maître Lelorrain, notaire, rue Sainte-Anne ; et l’acte fut reçu, qui constituait, sous la dénomination de société de la