Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

amie, c’est-à-dire où il lui demandait son avis sur les hommes et sur les choses, quitte à ne pas savoir le plus souvent profiter de sa grande sagesse. À midi, il sortait, allait à la Bourse, voulant y être un des premiers, pour voir et causer. Du reste, il ne jouait pas ouvertement, se trouvait là ainsi qu’à un rendez-vous naturel, où il était certain de rencontrer les clients de sa banque. Pourtant, son influence s’y indiquait déjà, il y était rentré en victorieux, en homme solide, appuyé désormais sur de vrais millions ; et les malins se parlaient à voix basse en le regardant, chuchotaient des rumeurs extraordinaires, lui prédisaient la royauté. Vers trois heures et demie, il était toujours rentré, il s’attelait à la fastidieuse besogne des signatures, tellement entraîné à cette course mécanique de la main, qu’il mandait des employés, donnait des réponses, réglait des affaires, la tête libre et parlant à l’aise, sans discontinuer de signer. Jusqu’à six heures, il recevait encore des visites, terminait le travail du jour, préparait celui du lendemain. Et, quand il remontait près de madame Caroline, c’était pour un repas plus copieux que celui de onze heures, des poissons fins et du gibier surtout, avec des caprices de vins qui le faisaient dîner au bourgogne, au bordeaux, au champagne, selon l’heureux emploi de sa journée.

— Dites que je ne suis pas sage ! s’écriait-il parfois, en riant. Au lieu de courir les femmes, les cercles, les théâtres, je vis là, en bon bourgeois, près de vous… Il faut écrire cela à votre frère, pour le rassurer.

Il n’était pas si sage qu’il le prétendait, ayant eu, à cette époque, la fantaisie d’une petite chanteuse des Bouffes ! et il s’était même un jour oublié, à son tour, chez Germaine Cœur, où il n’avait trouvé aucune satisfaction. La vérité était que, le soir, il tombait de fatigue.

Il vivait, d’ailleurs, dans un tel désir, dans une telle anxiété du succès, que ses autres appétits allaient en rester comme diminués et paralysés, tant qu’il ne se sentirait pas triomphant, maître indiscuté de la fortune.

— Bah ! répondait gaiement madame Caroline, mon