Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/157

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Oui, c’est bien ici la cité de Naples. La rue n’est pas classée, nous n’avons pas encore de numéros… Entrez, il faut causer de tout ça, d’abord. Mon Dieu ! c’est si ennuyeux, c’est si triste ! 

Et madame Caroline dut accepter une chaise dépaillée, dans une salle à manger noire de graisse, où un poêle rouge entretenait une chaleur et une odeur asphyxiantes. La Méchain, maintenant, se récriait sur la chance que la visiteuse avait de la rencontrer, car elle avait tant d’affaires dans Paris, elle ne remontait guère avant six heures. Il fallut l’interrompre.

— Pardon, madame, je venais pour ce malheureux enfant.

— Parfaitement, madame, je vais vous le montrer… Vous savez que sa mère était ma cousine. Ah ! je puis dire que j’ai fait mon devoir… Voici les papiers, voici les comptes. 

D’un buffet, elle tirait un dossier, bien en ordre, classé dans une chemise bleue, comme chez un agent d’affaires. Et elle ne tarissait plus sur la pauvre Rosalie : sans doute elle avait fini par mener une vie tout à fait dégoûtante, allant avec le premier venu, rentrant ivre et en sang, après des bordées de huit jours ; seulement, n’est-ce pas ? il fallait comprendre, car elle était bonne ouvrière avant que le père lui eût démis l’épaule, le jour où il l’avait prise sur l’escalier ; et ce n’était pas, avec son infirmité, en vendant des citrons aux Halles, qu’elle pouvait vivre sage.

— Vous voyez, madame, c’est par vingt sous, par quarante sous, que je lui ai prêté tout ça. Les dates y sont le 20 juin, vingt sous ; le 27 juin, encore vingt sous ; le 3 juillet, quarante sous. Et, tenez ! elle a dû être malade à cette époque, parce que voici des quarante sous à n’en plus finir… Puis, il y avait Victor que j’habillais. J’ai mis un V devant toutes les dépenses faites pour le gamin… Sans compter que, lorsque Rosalie a été morte, oh ! bien salement, dans une maladie qui était une vraie pourriture, il est tombé complètement à ma charge. Alors, regardez !