Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/163

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n’avait-elle pas été justement créée, cette œuvre, pour des déchéances pareilles, les misérables enfants du ruisseau qu’on tâchait de régénérer par de l’hygiène et un métier ? Au plus vite, il fallait enlever Victor de ce cloaque, le mettre là-bas, lui refaire une existence. Elle en était restée toute tremblante. Et, dans cette décision, il lui venait une délicatesse de femme : ne rien dire encore à Saccard, attendre d’avoir décrassé un peu le monstre, avant de le lui montrer ; car elle éprouvait comme une pudeur pour lui de cet effroyable rejeton, elle souffrait de la honte qu’il en aurait eue. Quelques mois suffiraient sans doute, elle parlerait ensuite, heureuse de sa bonne action.

La Méchain comprit difficilement.

— Mon Dieu, madame, comme il vous plaira… Seulement, je veux mes six mille francs tout de suite. Victor ne bougera pas de chez moi, si je n’ai pas mes six mille francs.

Cette exigence désespéra madame Caroline. Elle n’avait pas la somme, elle ne voulait pas la demander au père, naturellement. En vain, elle discuta, supplia.

— Non, non ! si je n’avais plus mon gage, je pourrais me fouiller. Je connais ça.

Enfin, voyant que la somme était grosse et qu’elle n’obtiendrait rien, elle fit un rabais.

— Eh bien, donnez-moi deux mille francs tout de suite. J’attendrai pour le reste. 

Mais l’embarras de madame Caroline restait le même, et elle se demandait où prendre ces deux mille francs, lorsque la pensée lui vint de s’adresser à Maxime. Elle ne voulut pas la discuter. Il consentirait bien à être du secret, il ne refuserait pas l’avance de ce peu d’argent, que certainement son père lui rembourserait. Et elle s’en alla en annonçant qu’elle reviendrait prendre Victor le lendemain.

Il n’était que cinq heures, elle avait une telle fièvre d’en finir, qu’en remontant dans son fiacre, elle donna au cocher l’adresse de Maxime, avenue de l’Impératrice.