Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/204

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— Mais si, j’ai insisté, et alors ils sont tombés sur toi… Tu vois que je te dis tout, je m’étais tant promis de garder ça pour moi, et puis ça m’échappe… Ils m’ont répété qu’ils l’avaient bien prévu, que ce n’est pas un métier d’écrire dans les journaux, que nous finirions à l’hôpital… Enfin, comme je me mettais en colère à mon tour, j’allais partir, lorsque le capitaine est arrivé. Tu sais qu’il m’a toujours adorée, l’onde Chave. Et, devant lui, ils sont devenus raisonnables, d’autant plus qu’il triomphait, qu’il demandait à papa s’il allait continuer à se faire voler… Maman m’a prise à l’écart, m’a glissé cinquante francs dans la main, en me disant qu’avec ça nous obtiendrions quelques jours, le temps de nous retourner.

— Cinquante francs ! une aumône ! et tu les as acceptés ? 

Marcelle lui avait tendrement saisi les mains, le calmant de toute sa tranquille raison.

— Voyons, ne te fâche pas… Oui, je les ai acceptés. Et j’ai si bien compris que jamais tu n’oserais les porter à l’huissier, que j’y suis allée tout de suite moi-même, chez cet huissier, tu sais, rue Cadet. Mais figure-toi qu’il a refusé de les prendre, en m’expliquant qu’il avait des ordres formels de monsieur Busch, et que monsieur Busch seul pouvait arrêter les poursuites… Oh ! Ce Busch ! Je ne hais personne, mais ce qu’il m’exaspère et me dégoûte, celui-là ! Ça ne fait rien, j’ai couru chez lui, rue Feydeau, et il a bien fallu qu’il se contentât des cinquante francs et voilà ! nous en avons pour quinze jours à ne pas être tourmentés. 

Une grosse émotion avait contracté le visage de Jordan, tandis que des larmes qu’il retenait mouillaient le bord de ses yeux.

— Tu as fait cela, petite femme, tu as fait cela !

— Mais oui, je ne veux pas qu’on t’ennuie davantage, moi ! Qu’est-ce que ça me fait de recevoir des sottises, si on te laisse travailler tranquille ! 

Et elle riait maintenant, elle racontait son arrivée chez Busch, dans la crasse de ses dossiers, la façon brutale