Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/227

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semaine, quand il est sûr de trouver la personne seule… 

Elle était redevenue brusquement très pâle, tout son sang refluait à son cœur. D’un geste violent, elle tenta de lui rentrer dans la gorge ce renseignement qu’elle évitait d’apprendre depuis deux mois.

— Je vous défends bien… 

Seulement, il criait plus fort qu’elle.

— C’est madame la baronne Sandorff… M. Delcambre l’entretient et a loué, pour l’avoir à son aise, un petit rez-de-chaussée de la rue Caumartin, presque au coin de la rue Saint-Nicolas, dans une maison où il y a une fruitière… Et monsieur y va donc prendre la place toute chaude… 

Elle avait allongé le bras vers la sonnette, pour qu’on jetât cet homme dehors ; mais il aurait certainement continué devant les domestiques.

— Oh ! quand je dis chaude !… J’ai une amie là-dedans, Clarisse, la femme de chambre, qui les a regardés ensemble, et qui a vu sa maîtresse, un vrai glaçon, lui faire un tas de saletés…

— Taisez-vous, malheureux !… Tenez ! voici vos quinze francs.

Et, d’un geste d’indicible dégoût, elle lui remit l’argent, comprenant que c’était la seule façon de le renvoyer. Tout de suite, en effet, il redevint poli.

— Moi, je ne veux que le bien de madame… La maison où il y a une fruitière. Le perron au fond de la cour… C’est aujourd’hui jeudi, il est quatre heures, si madame veut les surprendre… 

Elle le poussait vers la porte, sans desserrer les lèvres, livide.

— D’autant plus qu’aujourd’hui madame assisterait peut-être bien à quelque chose de rigolo… Plus souvent que Clarisse resterait dans une boîte pareille ! Et, quand on a eu de bons maîtres, on leur laisse un petit souvenir, n’est-ce pas ?… Bonsoir, madame. 

Enfin, il était parti. Madame Caroline resta quelques secondes immobile, cherchant, comprenant qu’une scène