Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/23

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Une nouvelle qui les révolutionne, et qui vient on ne sait d’où… Je vous le demande un peu, la guerre ! qui est-ce qui peut bien avoir inventé ça ? À moins que ça ne se soit inventé tout seul… Enfin, un vrai coup de chien.

Jantrou cligna des yeux.

— La dame mord toujours ?

— Oh ! enragée ! Je porte ses ordres à Nathansohn.

Saccard, qui écoutait, fit tout haut une réflexion.

— Tiens ! c’est vrai, on m’a dit que Nathansohn était entré à la coulisse.

— Un garçon très gentil, Nathansohn, déclara Jantrou, et qui mérite de réussir. Nous avons été ensemble au Crédit mobilier… Mais il arrivera, lui, car il est juif. Son père, un Autrichien, est établi à Besançon, horloger, je crois… Vous savez que ça l’a pris un jour, là-bas, au Crédit, en voyant comment ça se manigançait. Il s’est dit que ce n’était pas si malin, qu’il n’y avait qu’à avoir une chambre et à ouvrir un guichet ; et il a ouvert un guichet… Vous êtes content, vous, Massias ?

— Oh ! content ! Vous y avez passé, vous avez raison de dire qu’il faut être juif ; sans ça, inutile de chercher à comprendre, on n’y a pas la main, c’est la déveine noire… Quel sale métier ! Mais on y est, on y reste. Et puis, j’ai encore de bonnes jambes, j’espère tout de même. 

Et il repartit, courant et riant. On le disait fils d’un magistrat de Lyon, frappé d’indignité, tombé lui-même à la Bourse, après la disparition de son père, n’ayant pas voulu continuer ses études de droit.

Saccard et Jantrou, à petits pas, revinrent vers la rue Brongniart ; et ils y retrouvèrent le coupé de la baronne ; mais les glaces étaient levées, la voiture mystérieuse paraissait vide, tandis que l’immobilité du cocher semblait avoir grandi, dans cette attente qui se prolongeait souvent jusqu’au dernier cours.

— Elle est diablement excitante, reprit brutalement Saccard. Je comprends le vieux baron.

Jantrou eut un sourire singulier.

— Oh ! le baron, il y a longtemps qu’il en a assez, je