Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/294

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toussant et crachant, exténué de fatigue, solide quand même. Ce jour-là, à la veille d’un emprunt étranger, la vaste salle était envahie par un flot de visiteurs plus pressé encore, que recevaient en coup de vent deux de ses fils et un de ses gendres ; tandis que, par terre, près de l’étroite table qu’il s’était réservée au fond, dans l’embrasure d’une fenêtre, trois de ses petits-enfants, deux fillettes et un garçon, se disputaient avec des cris aigus une poupée dont un bras et une jambe gisaient déjà, arrachés.

Tout de suite, la baronne donna son prétexte.

— Cher monsieur, j’ai voulu avoir en personne la bravoure de mon importunité… C’est pour une loterie de bienfaisance… 

Il ne la laissa pas achever, il était fort charitable, et prenait toujours deux billets, surtout lorsque des dames, rencontrées par lui dans le monde, se donnaient ainsi la peine de les lui apporter.

Mais il dut s’excuser, un employé venait lui soumettre le dossier d’une affaire. Des chiffres énormes furent rapidement échangés.

— Cinquante-deux millions, dites-vous ? Et le crédit était ?

— De soixante millions, monsieur.

— Eh bien, portez-le à soixante-quinze millions.

Il revenait à la baronne, lorsqu’un mot surpris dans une conversation que son gendre avait avec un remisier, le fit se précipiter.

— Mais pas du tout ! Au cours de cinq cent quatre-vingt-sept cinquante, cela fait dix sous de moins par action.

— Oh ! monsieur, dit le remisier humblement, pour quarante-trois francs que ça ferait en moins !

— Comment, quarante-trois francs ! mais c’est énorme ! Est-ce que vous croyez que je vole l’argent ? Chacun son compte, je ne connais que ça ! 

Enfin, pour causer à l’aise, il se décida à emmener la baronne dans la salle à manger, où le couvert était déjà