Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/355

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d’une naïveté trop goguenarde. Évidemment, il se moquait d’elle, dans son absolu dédain, en homme fini, sans désir aucun.

— Alors, ma bonne amie, comme je suis très pressé, si vous n’avez rien de plus intéressant à me dire… 

Il la mettait à la porte. Alors, furieuse, elle se révolta.

— J’ai eu confiance en vous, j’ai parlé la première… C’est un guet-apens véritable… Vous m’aviez promis, si je vous étais utile, de m’être utile à votre tour, de me donner un conseil… 

Se levant, il l’interrompit. Lui qui ne riait jamais, il eut un petit ricanement, tellement cette duperie brutale à l’égard d’une femme jeune et jolie, l’amusait.

— Un conseil, mais je ne vous le refuse pas, ma bonne amie… Écoutez-moi bien. Ne jouez pas, ne jouez jamais. Ça vous rendra laide, c’est très vilain, une femme qui joue. 

Et, quand elle s’en fut allée, hors d’elle, il s’enferma avec ses deux fils et son gendre, distribua les rôles, envoya tout de suite chez Jacoby et chez d’autres agents de change, pour préparer le grand coup du lendemain. Son plan était simple : faire ce que la prudence l’avait empêché de risquer jusque-là, dans son ignorance de la véritable situation de l’Universelle ; écraser le marché sous des ventes énormes, maintenant qu’il savait cette dernière à bout de ressources, incapable de soutenir les cours. Il allait faire avancer la réserve formidable de son milliard, en général qui veut en finir et que ses espions ont renseigné sur le point faible de l’ennemi. La logique triompherait, toute action est condamnée, qui monte au-delà de la valeur vraie qu’elle représente.

Justement, ce jour-là, vers cinq heures, Saccard, averti du danger par son flair, se rendit chez Daigremont. Il était fiévreux, il sentait que l’heure devenait pressante de porter un coup aux baissiers, si l’on ne voulait se laisser battre définitivement par eux. Et son idée géante le travaillait, la colossale armée de six cents millions