Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/357

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séparèrent avec des poignées de main et des rires de triomphe.

Une heure plus tard, comme Daigremont, qui dînait en ville, allait s’habiller, il reçut une autre visite, celle de la baronne Sandorff. Dans son désarroi, elle venait d’avoir l’inspiration de le consulter. On l’avait un instant dite sa maîtresse ; mais, réellement, il n’y avait eu entre eux qu’une camaraderie très libre d’homme à femme. Tous deux étaient trop félins, se devinaient trop, pour en arriver à la duperie d’une liaison. Elle conta ses craintes, la démarche chez Gundermann, la réponse de celui-ci, en mentant d’ailleurs sur la fièvre de trahison qui l’avait poussée. Et Daigremont s’égaya, s’amusa à l’effarer davantage, l’air ébranlé, près de croire que Gundermann disait vrai, quand il jurait qu’il n’était pas à la baisse ; car est-ce qu’on sait jamais ? c’est un vrai bois que la Bourse, un bois par une nuit obscure, où chacun marche à tâtons. Dans ces ténèbres, si l’on a le malheur d’écouter tout ce qu’on invente d’inepte et de contradictoire, on est certain de se casser la figure.

— Alors, demanda-t-elle anxieusement, je ne dois pas vendre ?

— Vendre, pourquoi ? En voilà une folie ! Demain, nous serons les maîtres, l’Universelle remontera à trois mille cent : Et tenez bon, quoi qu’il arrive : vous serez contente du dernier cours… Je ne puis pas vous en dire davantage. 

La baronne était partie, Daigremont s’habillait enfin, lorsqu’un coup de timbre annonça une troisième visite. Ah ! celui-là, non ! il ne le recevrait pas. Mais, lorsqu’on lui eut remis la carte de Delarocque, il cria tout de suite de faire entrer ; et, comme l’agent, l’air très ému, attendait pour parler, il renvoya son valet de chambre, achevant lui-même de mettre sa cravate blanche, devant une haute glace.

— Mon cher, voilà ! dit Delarocque, avec sa familiarité d’homme du même cercle. Je m’en remets à votre amitié,