Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/415

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bijoux à Busch, et elle lui laissa à peine le temps de poser sur la table, en échange, la reconnaissance du comte, le poussant dehors, derrière Léonide déjà disparue. Puis, elle rouvrit l’alcôve, elle alla s’abattre sur l’oreiller d’Alice, toutes les deux achevées, anéanties, mêlant leurs larmes.

Madame Caroline, révoltée, avait été un moment sur le point d’intervenir. Laisserait-elle donc le misérable dépouiller ainsi ces deux pauvres femmes ? Mais elle venait d’entendre l’ignoble histoire, et que faire pour éviter le scandale ? car elle le savait homme à aller jusqu’au bout de ses menaces. Elle-même restait honteuse devant lui, dans la complicité des secrets qu’il y avait entre eux. Ah ! que de souffrances, que d’ordures ! Une gêne l’envahissait, qu’était-elle accourue faire là, puisqu’elle ne trouvait ni une parole à dire ni un secours à donner ? Toutes les phrases qui lui montaient aux lèvres, les questions, les simples allusions, au sujet du drame de la veille, lui semblaient blessantes, salissantes, impossibles à risquer devant la victime, égarée encore, agonisant de sa souillure. Et quel secours aurait-elle laissé, qui n’aurait paru une aumône dérisoire, elle ruinée également, embarrassée déjà pour attendre l’issue du procès ? Enfin, elle s’avança, les yeux pleins de larmes, les bras ouverts, dans une infinie pitié, un attendrissement éperdu dont elle tremblait toute.

Au fond de la banale alcôve d’hôtel meublé, ces deux misérables créatures effondrées, finies, c’était tout ce qui restait de l’antique race des Beauvilliers, autrefois si puissante, souveraine. Elle avait eu des terres aussi grandes qu’un royaume, vingt lieues de la Loire lui avaient appartenu, des châteaux, des prairies, des labours, des forêts. Puis cette immense fortune domaniale peu à peu s’en était allée avec les siècles en marche, et la comtesse venait d’engloutir la dernière épave dans une de ces tempêtes de la spéculation moderne, où elle n’entendait rien : d’abord ses vingt mille francs d’économies, épargnées sou à sou pour sa fille, puis les soixante mille francs empruntés