Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/425

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venue ?… Et puis, j’ai une chose bien triste à vous apprendre. 

Alors, d’un trait, à demi-voix, elle lui conta le sauvage réveil de Victor, son attentat sur mademoiselle de Beauvilliers, sa fuite extraordinaire, inexplicable, l’inutilité jusque-là de toutes les recherches, le peu d’espoir qu’on avait de le rejoindre. Il l’écoutait, saisi, sans une question, sans un geste ; et, quand elle se tut, deux grosses larmes gonflèrent ses yeux, ruisselèrent sur ses joues, pendant qu’il bégayait :

— Le malheureux… le malheureux… 

Jamais elle ne l’avait vu pleurer. Elle en resta profondément émue et stupéfaite, tellement ces larmes de Saccard étaient singulières, grises et lourdes, venues de loin, d’un cœur durci, encrassé par des années de brigandage. Tout de suite, d’ailleurs, il se désespéra bruyamment.

— Mais c’est épouvantable, je ne l’ai seulement pas embrassé, moi, ce gamin… Car vous savez que je ne l’ai pas vu. Mon Dieu ! oui, je m’étais bien juré d’aller le voir, et je n’ai pas eu le temps, pas une heure libre, avec ces sacrées affaires qui me mangent… Ah ! c’est bien toujours comme ça lorsqu’on ne fait pas une chose tout de suite, on est certain de ne jamais la faire… Et, alors, maintenant, vous êtes sûre que je ne puis pas le voir ? On me l’amènerait ici. 

Elle hocha la tête.

— Qui sait où il est, à cette heure, dans l’inconnu de ce terrible Paris ! 

Un instant encore, il se promena violemment, en lâchant des lambeaux de phrase.

— On me retrouve cet enfant, et, voilà ! je le perds… Jamais je ne le verrai… Tenez ! c’est que je n’ai pas de chance, non ! pas de chance du tout !… Oh ! mon Dieu ! l’histoire est la même que pour l’Universelle. 

Il venait de se rasseoir devant la table, et madame Caroline prit une chaise, en face de lui. Déjà, les mains errantes parmi les papiers, tout le dossier volumineux