Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/440

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pauvreté sans besoins où il se mourait, il faisait d’une main fraternelle le partage des biens de la terre. C’était l’universelle félicité, tout ce qui est bon et dont il n’avait pas joui, qu’il distribuait de la sorte, en sachant qu’il n’en jouirait jamais. Il avait hâté sa mort pour ce suprême cadeau à l’humanité souffrante. Mais ses mains s’égaraient, tâtonnantes, parmi les notes éparses, tandis que ses yeux ne voyaient déjà plus, emplis de l’éblouissement de mort, semblaient apercevoir l’infinie perfection, au-delà de la vie, dans un ravissement d’extase dont toute sa face s’éclairait.

— Ah ! que d’activités nouvelles, l’humanité entière au travail, les mains de tous les vivants améliorant le monde !… Il n’y a plus de landes, plus de marais, plus de terres incultes. Les bras de mer sont comblés, les montagnes gênantes disparaissent, les déserts se changent en vallées fertiles, sous les eaux qui jaillissent de toutes parts. Aucun prodige n’est irréalisable, les anciens grands travaux font sourire, tant ils semblent timides et enfantins. La terre enfin est habitable… Et c’est tout l’homme développé, grandi, jouissant de ses pleins appétits, devenu le vrai maître. Les écoles et les ateliers sont ouverts, l’enfant choisit librement son métier, que les aptitudes déterminent. Des années déjà se sont écoulées, et la sélection s’est faite, grâce à des examens sévères. Il ne suffit plus de pouvoir payer l’instruction, il faut en profiter. Chacun se trouve ainsi arrêté, utilisé, au juste degré de son intelligence, ce qui répartit équitablement les fonctions publiques, d’après les indications mêmes de la nature. Chacun pour tous, selon sa force… Ah ! cité active et joyeuse, cité idéale de saine exploitation humaine, où n’existe plus le vieux préjugé contre le travail manuel, où l’on voit un grand poète menuisier, un serrurier grand savant ! Ah ! cité bienheureuse, cité triomphale vers qui les hommes marchent depuis tant de siècles, cité dont les murs blancs resplendissent, là-bas… Là-bas, dans le bonheur, dans l’aveuglant soleil… 

Ses yeux pâlirent, les derniers mots s’exhalèrent,