Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/90

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correspondant. Sans doute, ces ordres sont de peu d’importance, venant de petits bourgeois, de petits commerçants, de fermiers. Mais il y a le nombre… En vérité, le meilleur de nos maisons, le fond même est fait des joueurs modestes, de la grande foule anonyme qui joue. 

Une association d’idées se fit, Saccard se rappela Sabatani au guichet de la caisse.

— Vous avez donc Sabatani, maintenant ? demanda-t-il.

— Depuis un an, je crois, répondit l’agent d’un air d’aimable indifférence. C’est un gentil garçon, n’est-ce pas ? il a commencé petitement, il est très sage et il fera quelque chose. 

Ce qu’il ne disait point, ce dont il ne se souvenait même plus, c’était que Sabatani avait seulement déposé chez lui une couverture de deux mille francs. De là le jeu si modéré du début. Sans doute, comme tant d’autres, le Levantin attendait que la médiocrité de cette garantie fût oubliée ; et il donnait des preuves de sagesse, il n’augmentait que graduellement l’importance de ses ordres, en attendant le jour où, culbutant dans une grosse liquidation, il disparaîtrait. Comment montrer de la défiance vis-à-vis d’un charmant garçon dont on est devenu l’ami ? comment douter de sa solvabilité, lorsqu’on le voit gai, d’apparence riche, avec cette tenue élégante qui est indispensable, comme l’uniforme même du vol à la Bourse ?

— Très gentil, très intelligent, répéta Saccard, qui prit soudain la résolution de songer à Sabatani, le jour où il aurait besoin d’un gaillard discret et sans scrupules.

Puis, se levant et prenant congé :

— Allons, adieu !… Lorsque nos titres seront prêts, je vous reverrai, avant de tâcher de les faire admettre à la cote. 

Et comme Mazaud, sur le seuil du cabinet, lui serrait la main, en disant :

— Vous avez tort, voyez donc Gundermann pour votre syndicat.

— Jamais !  cria-t-il de nouveau, l’air furieux.

Enfin, il sortait, lorsqu’il reconnut devant le guichet