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LES ROUGON-MACQUART.

— Non, sans doute, reprit celle-ci. Puisque vous avez véritablement besoin de moi, cela suffit. Je vais peut-être commettre encore une bêtise, me donner bien du mal, pour ne jamais en être récompensée. Demandez à monsieur Paloque tout le bien que nous avons fait, sans rien dire. Vous voyez où cela nous a menés… N’importe, on ne peut pas se changer, n’est-ce pas ? Nous serons des dupes jusqu’à la fin… Comptez sur moi, chère madame.

Les Paloque se levèrent, et Marthe prit congé d’eux, en les remerciant de leur dévouement. Comme elle restait un instant sur le palier, pour retirer le volant de sa robe pris entre la rampe et les marches, elle les entendit causer vivement, derrière la porte.

— Ils viennent te chercher parce qu’ils ont besoin de toi, disait le juge d’une voix aigre. Tu seras leur bête de somme.

— Parbleu ! répondait sa femme ; mais si tu crois qu’ils ne payeront pas ça avec le reste !

Lorsque Marthe rentra enfin chez elle, il était près de huit heures. Mouret l’attendait depuis une grande demi-heure pour se mettre à table. Elle redoutait quelque scène affreuse. Mais, lorsqu’elle fut déshabillée et qu’elle descendit, elle trouva son mari assis à califourchon sur une chaise retournée, jouant tranquillement à la retraite du bout des doigts sur la nappe. Il fut terrible de moqueries, de taquineries de toutes sortes.

— Moi, dit-il, je croyais que tu coucherais dans un confessionnal, cette nuit… Maintenant que tu vas à l’église, il faudra m’avertir, pour que je soupe dehors, quand tu seras invitée par les curés.

Pendant tout le dîner, il trouva des plaisanteries de ce goût. Marthe souffrait beaucoup plus que s’il l’avait querellée. À deux ou trois reprises elle l’implora du regard, elle le supplia de la laisser tranquille. Mais cela ne fit que fouetter sa verve. Octave et Désirée riaient. Serge se taisait,