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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Oh ! mais ça ne sera pas long, continua Mouret. En dix minutes, si vous voulez bien prendre la peine d’attendre, Rose va débarrasser vos chambres.

Une vive inquiétude grandissait sur le visage terreux de l’abbé.

— Le logement est meublé, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

— Du tout, il n’y a pas un meuble ; nous ne l’avons jamais habité.

Alors, le prêtre perdit son calme ; une lueur passa dans ses yeux gris. Il s’écria avec une violence contenue :

— Comment ! mais j’avais formellement recommandé dans ma lettre de louer un logement meublé. Je ne pouvais pas apporter des meubles dans ma malle, bien sûr.

— Hein ! qu’est-ce que je disais ? cria Mouret d’un ton plus haut. Ce Bourrette est incroyable… Il est venu, monsieur, et il a vu certainement les pommes, puisqu’il en a même pris une dans la main, en déclarant qu’il avait rarement admiré une aussi belle pomme. Il a dit que tout lui semblait très bien, que c’était ça qu’il fallait, et qu’il louait.

L’abbé Faujas n’écoutait plus ; tout un flot de colère était monté à ses joues. Il se tourna, il balbutia, d’une voix anxieuse :

— Mère, vous entendez ? il n’y a pas de meubles.

La vieille dame, serrée dans son mince châle noir, venait de visiter le rez-de-chaussée, à petits pas furtifs, sans lâcher son panier. Elle s’était avancée jusqu’à la porte de la cuisine, en avait inspecté les quatre murs ; puis, revenant sur le perron, elle avait lentement, d’un regard, pris possession du jardin. Mais la salle à manger surtout l’intéressait ; elle se tenait de nouveau debout, en face de la table servie, regardant fumer la soupe, lorsque son fils lui répéta :

— Entendez-vous, mère ? il va falloir aller à l’hôtel.

Elle leva la tête, sans répondre ; toute sa face refusait de