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LES ROUGON-MACQUART.

le nommera curé, en remplacement de l’autre… Il compte sur la place ; il me l’a dit.

Cependant, l’abbé Faujas s’était dégagé de l’étreinte du vieux prêtre. Il reçut la mauvaise nouvelle avec gravité et ferma posément son bréviaire.

— Compan veut vous voir, bégayait Bourrette ; il ne passera pas la matinée… Ah ! c’était un ami bien cher. Nous avions fait nos études ensemble… Il veut vous dire adieu ; il m’a répété toute la nuit que vous seul aviez du courage dans le diocèse. Depuis plus d’un an qu’il languissait, pas un prêtre de Plassans n’osait aller lui serrer la main. Et vous qui le connaissiez à peine, vous lui donniez toutes les semaines une après-midi. Il pleurait tout à l’heure, en parlant de vous… Il faut vous hâter, mon ami.

L’abbé Faujas monta un instant à son appartement, pendant que l’abbé Bourrette piétinait d’impatience et de désespoir dans le vestibule ; enfin, au bout d’un quart d’heure, tous deux partirent. Le vieux prêtre s’essuyait le front, roulait sur le pavé, en laissant échapper des phrases décousues.

— Il serait mort sans une prière, comme un chien, si sa sœur n’était venue me prévenir, hier soir, vers onze heures. Elle a bien fait, la chère demoiselle… Il ne voulait compromettre aucun de nous, il n’aurait pas même reçu les derniers sacrements… Oui, mon ami, il était en train de mourir dans un coin, seul, abandonné, lui qui a eu une si belle intelligence et qui n’a vécu que pour le bien.

Il se tut ; puis, au bout d’un silence, d’une voix changée :

— Croyez-vous que Fenil me pardonne ça ? Non, jamais, n’est-ce pas ?… Lorsque Compan m’a vu arriver avec les saintes huiles, il ne voulait pas, il me criait de m’en aller. Eh bien, c’est fait ! Je ne serai jamais curé. J’aime mieux ça. Je n’aurai pas laissé mourir Compan comme un chien…