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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

mais il fit un geste de décision presque plaisant, il regarda l’abbé Faujas d’un air d’intelligence.

— Tenez, sortez par ici, lui dit-il en ouvrant une porte cachée sous une portière.

Il l’arrêta sur le seuil, il continua à le regarder en riant.

— Fenil va être furieux… Vous me promettez de me défendre contre lui, s’il crie trop fort ? Je vous le mets sur les bras, je vous en avertis. Je compte bien aussi que vous ne laisserez pas réélire le marquis de Lagrifoul… Dame ! c’est sur vous que je m’appuie maintenant, cher monsieur Faujas.

Il le salua du bout de sa main blanche, puis rentra nonchalamment dans la tiédeur de son cabinet. L’abbé était resté courbé, surpris de l’aisance toute féminine avec laquelle monseigneur Rousselot changeait de maître et se livrait au plus fort. Alors seulement il sentit que l’évêque venait de se moquer de lui, comme il devait se moquer de l’abbé Fenil, du fauteuil moelleux où il traduisait Horace.

Le jeudi suivant, vers dix heures, au moment où la belle société de Plassans s’écrasait dans le salon vert des Rougon, l’abbé Faujas parut sur le seuil. Il était superbe, grand, rose, vêtu d’une soutane fine qui luisait comme un satin. Il resta grave avec un léger sourire, à peine un pli aimable des lèvres, tout juste ce qu’il fallait pour éclairer sa face austère d’un rayon de bonhomie.

— Ah ! c’est ce cher curé ! cria gaiement madame de Condamin.

Mais la maîtresse de maison se précipita ; elle prit dans ses deux mains une des mains de l’abbé, l’amenant au milieu du salon, le cajolant du regard, avec un doux balancement de tête.

— Quelle surprise, quelle bonne surprise ! répéta-t-elle. Voilà un siècle qu’on ne vous a vu. Il faut donc que le bonheur tombe chez vous, pour que vous vous souveniez de vos amis ?