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LES ROUGON-MACQUART.

— Oui, ma femme et mon fils m’ont fait aimer l’abbé Faujas. Nous regrettons vivement que sa discrétion l’empêche d’être des nôtres.

M. de Bourdeu approuvait de la tête, lorsque des applaudissements s’élevèrent dans l’impasse. Il y eut un tohu-bohu de piétinements, de rires, de cris, toute une bouffée de gaieté d’écoliers en récréation. M. Rastoil quitta son siège rustique.

— Ma foi ! dit-il avec bonhomie, allons voir ; je finis par avoir des démangeaisons dans les jambes.

Les deux autres le suivirent. Tous trois restèrent devant la petite porte. C’était la première fois que le président et l’ancien préfet s’aventuraient jusque-là. Quand ils aperçurent, au fond de l’impasse, le groupe formé par la société de la sous-préfecture, ils prirent des mines graves. M. Péqueur des Saulaies de son côté, se redressa, se campa dans une attitude officielle ; tandis que madame de Condamin, très-rieuse, se glissait le long des murs, emplissant l’impasse du frôlement de sa toilette rose. Les deux sociétés s’épiaient par des coups d’œil de côté, ne voulant céder la place ni l’une ni l’autre ; et, entre elles, l’abbé Faujas, toujours sur la porte des Mouret, tenant son bréviaire sous le bras, s’égayait doucement, sans paraître le moins du monde comprendre la délicatesse de la situation.

Cependant, tous les assistants retenaient leur haleine. L’abbé Surin, voyant grossir son public, voulut enlever les applaudissements par un dernier tour d’adresse. Il s’ingénia, se proposa des difficultés, se tournant, jouant sans regarder venir le volant, le devinant en quelque sorte, le renvoyant à mademoiselle Aurélie, par-dessus sa tête, avec une précision mathématique. Il était très-rouge, suant, décoiffé ; son rabat, qui avait complètement tourné, lui pendait maintenant sur l’épaule droite. Mais il restait vainqueur, l’air riant, charmant toujours. Les deux sociétés s’oubliaient