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LES ROUGON-MACQUART.

superbe redingote toute neuve, pendue à l’espagnolette de la fenêtre ; une peau d’ours étalée devant le lit. À côté du grog, sur la table de nuit, une petite montre de femme, en or, luisait, dans une coupe de porcelaine.

— Qui donc ont-ils dévalisé ? pensa le prêtre.

Alors, il se souvint d’avoir vu Olympe baisant les mains de Marthe.

— Mais, malheureux, s’écria-t-il, vous volez !

Trouche se leva. Sa femme l’envoya tomber sur le canapé.

— Tiens-toi tranquille, lui dit-elle ; dors, tu en as besoin.

Et, se tournant vers son frère :

— Il est une heure, tu peux nous laisser dormir, si tu n’as que des choses désagréables à nous dire… Mon mari a eu tort de se soûler, c’est vrai ; mais ce n’est pas une raison pour le maltraiter… Nous avons eu déjà plusieurs explications ; il faut que celle-ci soit la dernière, entends-tu ? Ovide… Nous sommes frère et sœur, n’est-ce pas ? Eh bien ! je te l’ai dit, nous devons partager… Tu te goberges en bas, tu te fais faire des petits plats, tu vis comme un bienheureux entre la propriétaire et la cuisinière. Ça te regarde. Nous n’allons pas, nous autres, regarder dans ton assiette ni te retirer les morceaux de la bouche. Nous te laissons conduire ta barque comme tu l’entends. Alors, ne nous tourmente pas, accorde-nous la même liberté… Il me semble que je suis bien raisonnable…

Et comme le prêtre faisait un geste :

— Oui, je comprends, continua-t-elle, tu as toujours peur que nous ne gâtions tes affaires… La meilleure façon pour que nous ne les gâtions pas, c’est de ne point nous taquiner. Quand tu répéteras : « Ah ! si j’avais su, je vous aurais laissés où vous étiez ! » Tiens ! tu n’es pas fort, malgré tes grands airs. Nous avons les mêmes intérêts que toi ; nous sommes en famille, nous pouvons faire notre trou tous en-