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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

leuse, comme si elle eût pris l’argent dans sa propre poche.

— Hein ? maman, c’est assez, n’est-ce pas ? dit Olympe impatientée. Ce n’est pas votre bourse qui danse peut-être… Moi, je n’emprunte encore que de l’argent, je ne me fais pas nourrir.

— Que veux-tu dire, méchante gale ? balbutia madame Faujas, au comble de l’exaspération. Est-ce que nous ne payons pas nos repas ? Demande à la cuisinière, elle te montrera notre livre de compte.

Olympe éclata de rire.

— Ah ! très joli ! reprit-elle. Je le connais, le livre de compte. Vous payez les radis et le beurre, n’est-ce pas ?… Tenez, maman, restez au rez-de-chaussée ; je ne vais pas vous y déranger, moi. Mais ne montez plus me tourmenter, ou je crie. Vous savez qu’Ovide a défendu qu’on fît du bruit.

Madame Faujas redescendait en grondant. Cette menace de tapage la forçait à battre en retraite. Olympe, pour se moquer, chantonnait derrière son dos. Mais, lorsqu’elle allait au jardin, sa mère se vengeait, sans cesse sur ses talons, regardant ses mains, la guettant. Elle ne la tolérait ni dans la cuisine ni dans la salle à manger. Elle l’avait fâchée avec Rose, à propos d’une casserole prêtée et non rendue. Cependant, elle n’osait l’attaquer dans l’amitié de Marthe, de peur de quelque esclandre, dont l’abbé aurait souffert.

— Puisque tu es si peu soucieux de tes intérêts, dit-elle un jour à son fils, je saurai bien les défendre à ta place ; n’aie pas peur, je serai prudente… Si je n’étais pas là, vois-tu, ta sœur te retirerait le pain des mains.

Marthe n’avait pas conscience du drame qui se nouait autour d’elle. La maison lui semblait simplement plus vivante, depuis que tout ce monde emplissait le vestibule, l’escalier, les corridors. On eût dit le vacarme d’un hôtel garni, avec le bruit étouffé des querelles, les portes battantes, la vie sans