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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

dingote pincée à la taille, avait la passion de la jeunesse ; il se moquait des « vieux », s’isolait avec les demoiselles de la bande, pouffait de rire dans les coins.

— Par ici, la marmaille ! disait-il avec un sourire ; laissons les vieux ensemble.

Un jour, il avait failli battre l’abbé Surin dans une formidable partie de volant. La vérité était qu’il taquinait tout ce petit monde. Il avait surtout pris pour victime le fils Rastoil, garçon innocent auquel il contait des choses énormes. Il finit par l’accuser de faire la cour à sa femme, et il roulait des yeux terribles, qui donnaient des sueurs d’angoisse au malheureux Séverin. Le pis fut que celui-ci se crut réellement amoureux de madame de Condamin, devant laquelle il se plantait avec des mines attendries et effrayées, dont le mari s’amusait extrêmement.

Les demoiselles Rastoil, pour lesquelles le conservateur des eaux et forêts se montrait d’une galanterie de jeune veuf, étaient aussi le sujet de ses plaisanteries les plus cruelles. Bien qu’elles touchassent à la trentaine, il les poussait à des jeux d’enfant, leur parlait comme à des pensionnaires. Son grand régal était de les étudier, lorsque Lucien Delangre, le fils du maire, se trouvait là. Il prenait à part le docteur Porquier, un homme bon à tout entendre, il lui murmurait à l’oreille, en faisant allusion à l’ancienne liaison de M. Delangre avec madame Rastoil :

— Dites donc, Porquier, voilà un garçon bien embarrassé… Est-ce Angéline, est-ce Aurélie qui est de Delangre ?… Devine, si tu peux, et choisis, si tu l’oses.

Cependant, l’abbé Faujas était aimable pour tous les visiteurs, même pour ce terrible Condamin, si inquiétant. Il s’effaçait le plus possible, parlait peu, laissait les deux sociétés se fondre, semblait n’avoir que la joie discrète d’un maître de maison, heureux d’être un trait d’union entre des personnes distinguées, faites pour se comprendre. Marthe,