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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

sous ses mûriers, ricanant avec Alexandre, débouchant cette seconde bouteille dont il avait parlé. Marthe recommanda expressément au cocher de ne plus passer aux Tulettes. D’ailleurs, elle se fatiguait de ces promenades ; elle les fit de plus en plus rares, les abandonna tout à fait, lorsqu’elle comprit que jamais l’abbé Faujas ne consentirait à l’accompagner.

Toute une nouvelle femme grandissait en Marthe. Elle était affinée par la vie nerveuse qu’elle menait. Son épaisseur bourgeoise, cette paix lourde acquise par quinze années de somnolence derrière un comptoir, semblait se fondre dans la flamme de sa dévotion. Elle s’habillait mieux, causait chez les Rougon, le jeudi.

— Madame Mouret redevient jeune fille, disait madame de Condamin, émerveillée.

— Oui, murmurait le docteur Porquier en hochant la tête, elle descend la vie à reculons.

Marthe, plus mince, les joues rosées, les yeux superbes, ardents et noirs, eut alors pendant quelques mois une beauté singulière. La face rayonnait ; une dépense extraordinaire de vie sortait de tout son être, l’enveloppait d’une vibration chaude. Il semblait que sa jeunesse oubliée brûlât en elle, à quarante ans, avec une splendeur d’incendie. Maintenant, lâchée dans la prière, emportée par un besoin de toutes les heures, elle désobéissait à l’abbé Faujas. Elle usait ses genoux sur les dalles de Saint-Saturnin, vivait dans les cantiques, dans les adorations, se soulageait en face des ostensoirs rayonnants, des chapelles flambantes, des autels et des prêtres luisants avec des lueurs d’astres sur le fond noir de la nef. Il y avait, chez elle, une sorte d’appétit physique de ces gloires, un appétit qui la torturait, qui lui creusait la poitrine, lui vidait le crâne, lorsqu’elle ne le contentait pas. Elle souffrait trop, elle se mourait, et il lui fallait venir prendre la nourriture de sa passion, se blottir