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LES ROUGON-MACQUART.

sur sa femme parce qu’il l’avait trouvée avec le curé ; mais la fruitière défendait « la pauvre dame, » un véritable agneau, incapable de mal tourner ; tandis que la boulangère voyait dans le mari « un de ces hommes qui brutalisent leur femme pour le plaisir. » Au marché, on ne nommait plus Marthe que les yeux au ciel, avec ces cajoleries de paroles qu’on a pour les enfants malades. Lorsque Olympe allait acheter une livre de cerises ou un pot de fraises, la conversation tombait inévitablement sur les Mouret. C’était pendant un quart d’heure un flot de paroles attendries.

— Eh bien ! et chez vous ?

— Ne m’en parlez pas. Elle pleure toutes les larmes de son corps… Ça fait pitié. On voudrait la savoir morte.

— Elle m’a acheté des artichauts, l’autre jour ; elle avait la joue déchirée.

— Pardi ! il la massacre… Et si vous voyiez son corps comme je l’ai vu !… Ce n’est plus qu’une plaie… Il lui donne des coups de talon, lorsqu’elle est par terre. J’ai toujours peur de lui trouver la tête écrasée, la nuit, quand nous descendons.

— Ça ne doit pas être amusant pour vous, de demeurer dans cette maison-là. Moi, je déménagerais ; je tomberais malade, à assister toutes les nuits à de pareilles horreurs.

— Et cette malheureuse, qu’est-ce qu’elle deviendrait ? Elle est si distinguée, si douce ! Nous restons pour elle… C’est cinq sous, n’est-ce pas, la livre de cerises ?

— Oui, cinq sous… N’importe, vous avez de la constance, vous êtes une bonne âme.

Cette histoire d’un mari qui attendait minuit pour tomber sur sa femme avec un bâton, était surtout destinée à passionner les commères du marché. Des détails effrayants grossissaient l’histoire de jour en jour. Une dévote affirmait que Mouret était possédé, qu’il prenait sa femme au cou avec les dents, si rudement que l’abbé Faujas devait faire