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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

pas assez de ses yeux pour pleurer… Je vous en supplie, vous qui vivez auprès d’elle, consolez-la, protégez-la.

L’abbé la regardait, comme pour pénétrer le mot de cette douleur subite.

— Je viens de voir une personne que je ne veux pas nommer, continua-t-elle, fixant à son tour ses regards sur le prêtre. Cette personne m’a effrayée… Dieu sait si je cherche à accabler mon gendre ! Mais j’ai le devoir, n’est-ce pas, de défendre les intérêts de ma fille ?… Eh bien ! mon gendre est un malheureux ; il maltraite sa femme, il scandalise la ville, il se met de toutes les sales affaires. Vous verrez qu’il se compromettra encore dans la politique, lorsque les élections vont venir. La dernière fois, c’était lui qui conduisait la crapule des faubourgs… J’en mourrai, monsieur le curé.

— Monsieur Mouret ne permettrait pas qu’on lui fît des observations, hasarda l’abbé.

— Pourtant je ne puis abandonner ma fille à un tel homme ! s’écria madame Rougon. Je ne nous laisserai pas déshonorer… La justice n’est pas faite pour les chiens.

Trouche se dandinait. Il profita d’un silence.

— Monsieur Mouret est fou, déclara-t-il brusquement.

Le mot tomba comme un coup de massue, tout le monde se regarda.

— Je veux dire qu’il n’a pas la tête solide, continua Trouche. Vous n’avez qu’à étudier ses yeux… Moi, je vous avoue que je ne suis pas tranquille. Il y avait un homme à Besançon qui adorait sa fille et qui l’a assassinée une nuit, sans savoir ce qu’il faisait.

— Il y a beau temps que monsieur est fêlé, murmura Rose.

— Mais c’est épouvantable ! dit madame Rougon. Vous avez raison, il m’a eu l’air tout extraordinaire, la dernière fois que je l’ai vu. Il n’a jamais eu l’intelligence bien nette… Ah ! ma pauvre chérie, promets-moi de tout me confier. Je