Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
LES ROUGON-MACQUART.

Sauvaire. Les cris redoublaient, il fut poursuivi un instant par la rumeur grondante du marché.

— Qu’ont-ils donc aujourd’hui ? pensa-t-il. C’était peut-être de moi qu’ils se moquaient ; pourtant je n’ai pas entendu mon nom… Il y aura eu quelque accident.

Il ôta son chapeau, le regarda, craignant que quelque gamin ne lui eût jeté une poignée de plâtre ; il n’avait non plus ni cerf-volant ni queue de rat pendu dans le dos. Cette inspection le calma. Il reprit sa marche de bourgeois en promenade, dans le silence de la ruelle ; il déboucha tranquillement sur le cours Sauvaire. Les petits rentiers étaient à leur place, sur un banc, au soleil.

— Tiens ! c’est Mouret, dit le capitaine en retraite, d’un air de profond étonnement.

La plus vive curiosité se peignit sur les visages endormis de ces messieurs. Ils allongèrent le cou, sans se lever, laissant Mouret debout devant eux ; ils l’étudiaient, des pieds à la tête, minutieusement.

— Alors, vous faites un petit tour ? reprit le capitaine, qui paraissait le plus hardi.

— Oui, un petit tour, répéta Mouret, d’une façon distraite ; le temps est très beau.

Ces messieurs échangèrent des sourires d’intelligence. Ils avaient froid, et le ciel venait de se couvrir.

— Très-beau, murmura l’ancien tanneur, vous n’êtes pas difficile… Il est vrai que vous voilà déjà habillé en hiver. Vous avez une drôle de redingote.

Les sourires se changèrent en ricanements. Mouret sembla pris d’une idée subite.

— Regardez donc, demanda-t-il en se tournant brusquement, si je n’ai pas un soleil dans le dos.

Les marchands d’amandes retirés ne purent tenir leur sérieux davantage, ils éclatèrent. Le farceur de la bande, le capitaine, cligna les yeux.