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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Non, non, ça ne me regarde pas… Madame Mouret est une sainte femme, qui souffre en vraie chrétienne ; elle a ses idées là-dessus, il faut les respecter… Croyez-vous qu’il a voulu lui couper le cou avec un rasoir !

C’était toujours la même histoire, mais elle obtenait un effet certain : les poings se fermaient, les femmes parlaient d’étrangler Mouret. Quand un incrédule hochait la tête, on l’embarrassait tout net en lui demandant d’expliquer les épouvantables scènes de chaque nuit ; un fou seul était capable de sauter ainsi à la gorge de sa femme, dès qu’elle se couchait. Il y avait là une pointe de mystère qui aida singulièrement à répandre l’histoire dans la ville. Pendant près d’un mois, la rumeur grossit. Rue Balande, malgré les commérages tragiques colportés par Olympe, le calme s’était fait, les nuits se passaient tranquillement. Marthe avait des impatiences nerveuses, lorsque, sans parler clairement, ses intimes lui recommandaient d’être très-prudente.

— Vous voulez n’en faire qu’à votre tête, n’est-ce pas ? disait Rose. Vous verrez… Il recommencera. Nous vous trouverons assassinée, un de ces quatre matins.

Madame Rougon affectait maintenant d’accourir tous les deux jours. Elle entrait d’un air plein d’angoisse, elle demandait à Rose, dès le vestibule :

— Eh bien ? aucun accident, aujourd’hui ?

Puis, quand elle voyait sa fille, elle l’embrassait avec une fureur de tendresse, comme si elle avait eu peur de ne plus la trouver là. Elle passait des nuits affreuses, disait-elle ; elle tremblait à chaque coup de sonnette, s’imaginant toujours qu’on venait lui apprendre quelque malheur ; elle ne vivait plus. Et, lorsque Marthe lui affirmait qu’elle ne courait aucun danger, elle la regardait avec admiration, elle s’écriait :

— Tu es un ange ! Si je n’étais pas là, tu te laisserais tuer sans pousser un soupir. Mais, sois tranquille, je veille