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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

donna quelques vagues explications : c’était bien fâcheux, bien triste, et il plaignait tout le monde, sans s’aventurer davantage.

— Mais vous, docteur, demanda madame de Condamin à M. Porquier, vous qui êtes le médecin de la maison, qu’est-ce que vous pensez de tout cela ?

Le docteur Porquier hocha longtemps la tête avant de répondre. Il se posa d’abord en homme discret.

— C’est bien délicat, murmura-t-il. Madame Mouret n’est pas d’une forte santé. Quant à monsieur Mouret…

— J’ai vu madame Rougon, dit le sous-préfet. Elle est très-inquiète.

— Son gendre l’a toujours gênée, interrompit brutalement M. de Condamin. Moi, j’ai rencontré Mouret, l’autre jour, au cercle. Il m’a battu au piquet. Je l’ai trouvé aussi intelligent qu’à l’ordinaire… Le digne homme n’a jamais été un aigle.

— Je n’ai point dit qu’il fût fou, comme le vulgaire l’entend, reprit le docteur, qui se crut attaqué ; seulement, je ne dis pas non plus qu’il soit prudent de le laisser en liberté.

Cette déclaration produisit une certaine émotion. M. Rastoil regarda instinctivement le mur qui séparait les deux jardins. Tous les visages se tendaient vers le docteur.

— J’ai connu, continuait-il, une dame charmante, qui tenait grand train, donnant à dîner, recevant les personnes les plus distinguées, causant elle-même avec beaucoup d’esprit. Eh bien, dès que cette dame était rentrée dans sa chambre, elle s’enfermait et passait une partie de la nuit à marcher à quatre pattes autour de la pièce, en aboyant comme une chienne. Ses gens crurent longtemps qu’elle cachait une chienne chez elle… Cette dame offrait un cas de ce que nous autres médecins nous nommons la folie lucide.

L’abbé Surin retenait des petits rires en regardant les demoiselles Rastoil, qu’égayait cette histoire d’une personne