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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

pas tous cette innocence. Il en est qui torturent leur famille par quelque vice caché, passé à l’état de manie : des misérables qui boivent, qui se livrent à des débauches secrètes, qui volent par besoin de voler, qui agonisent d’orgueil, de jalousie, d’ambition. Et ils ont l’hypocrisie de leur folie, à ce point qu’ils parviennent à se surveiller, à mener jusqu’au bout les projets les plus compliqués, à répondre raisonnablement, sans que personne puisse se douter de leurs lésions cérébrales ; puis, dès qu’ils rentrent dans l’intimité, dès qu’ils sont seuls avec leurs victimes, ils s’abandonnent à leurs conceptions délirantes, ils se changent en bourreaux… S’ils n’assassinent pas, ils tuent en détail.

— Alors monsieur Mouret ? demanda madame de Condamin.

— Monsieur Mouret a toujours été taquin, inquiet, despotique. La lésion paraît s’être aggravée avec l’âge. Aujourd’hui, je n’hésite pas à le placer parmi les fous méchants… J’ai eu une cliente qui s’enfermait comme lui dans une pièce écartée, où elle passait les journées entières à combiner les actions les plus abominables.

— Mais, docteur, si tel est votre avis, il faut aviser ! s’écria M. Rastoil. Vous devriez faire un rapport à qui de droit.

Le docteur Porquier resta légèrement embarrassé.

— Nous causons, dit-il, en reprenant son sourire de médecin des dames. Si je suis requis, si les choses deviennent graves, je ferai mon devoir.

— Bah ! conclut méchamment M. de Condamin, les plus fous ne sont pas ceux qu’on pense… Il n’y a pas de cervelle saine, pour un médecin aliéniste… Le docteur vient de nous réciter là une page d’un livre sur la folie lucide, que j’ai lu, et qui est intéressant comme un roman.

L’abbé Faujas avait écouté curieusement, sans prendre part à la conversation. Puis, comme on se taisait, il fit en-