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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

bougie pour éclairer les salades ; sa face apparaissait toute jaune sur le fond noir de la nuit.

— Quelle figure ! dit madame de Condamin ; j’en rêverai, c’est certain… Est-ce qu’il dort, docteur ?

— Non, non, répondit M. Porquier, il n’est pas somnambule, il est bien éveillé… Vous distinguez la fixité de ses regards ; je vous prie aussi de remarquer la sécheresse de ses mouvements…

— Taisez-vous donc, nous n’avons pas besoin d’une conférence, interrompit M. Péqueur des Saulaies.

Alors, le silence le plus profond régna. Mouret ayant enjambé les buis, s’était agenouillé au milieu des salades. Il baissait la bougie, il cherchait le long des rigoles, sous les feuilles vertes étalées. De temps à autre, il avait un petit grognement ; il semblait écraser, enfoncer quelque chose en terre. Cela dura près d’une demi-heure.

— Il pleure, je vous le disais bien, répétait complaisamment Aurélie.

— C’est réellement très-effrayant, balbutiait madame de Condamin. Rentrons, je vous en prie.

Mouret laissa tomber sa bougie, qui s’éteignit. On l’entendit se fâcher et remonter le perron en butant contre les marches. Les demoiselles Rastoil avaient poussé un léger cri de terreur. Elles ne se rassurèrent que dans le petit salon éclairé, où M. Péqueur des Saulaies voulut absolument que la société acceptât une tasse de thé et des biscuits. Madame de Condamin continuait à être toute tremblante ; elle se pelotonnait dans le coin d’une causeuse ; elle assurait, avec un sourire attendri, que jamais elle ne s’était sentie si impressionnée, même un matin où elle avait eu la vilaine curiosité d’aller voir une exécution capitale.

— C’est singulier, dit M. Rastoil, qui réfléchissait profondément depuis un instant, Mouret avait l’air de chercher des limaces sous ses salades. Les jardins en sont empoison-