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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

aux urnes tout le vieux quartier et un grand nombre de villages… Il est fou, c’est vrai, mais c’est une recommandation… Je le trouve encore très-raisonnable, pour un républicain.

Cette plaisanterie médiocre obtint un vif succès. Les demoiselles Rastoil eurent elles-mêmes de petits rires de pensionnaire. Le président voulut bien approuver de la tête ; il sortit de sa gravité, il dit en évitant de regarder le sous-préfet :

— Lagrifoul ne nous a peut-être pas rendu les services que nous étions en droit d’attendre ; mais un cordonnier, ce serait vraiment honteux pour Plassans !

Et il ajouta vivement, comme pour couper court sur la déclaration qu’il venait de faire :

— Il est une heure et demie ; c’est une débauche… Monsieur le sous-préfet, tous nos remercîments.

Ce fut madame de Condamin, qui, en jetant un châle sur ses épaules, trouva moyen de conclure.

— Enfin, dit-elle, on ne peut pas laisser conduire les élections par un homme qui va s’agenouiller au milieu de ses salades, à minuit passé.

Cette nuit devint légendaire. M. de Condamin eut beau jeu, lorsqu’il raconta l’aventure à M. de Bourdeu, à M. Maffre et aux abbés, qui n’avaient pas vu le voisin avec un cierge. Trois jours plus tard, le quartier jurait avoir aperçu le fou qui battait sa femme se promenant la tête couverte d’un drap de lit. Sous la tonnelle, aux réunions de l’après-midi, on se préoccupait surtout de la candidature possible du cordonnier de Mouret. On riait, tout en s’étudiant les uns les autres. C’était une façon de se tâter politiquement. M. de Bourdeu, à certaines confidences de son ami le président, croyait comprendre qu’une entente tacite pourrait se faire sur son nom entre la sous-préfecture et l’opposition modérée, de façon à battre honteusement les répu-