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LES ROUGON-MACQUART.

songeât, de façon que tout le monde pût l’accepter sans se croire compromis.

Puis, avec l’abandon d’un homme fort qui consent à expliquer sa conduite :

— J’ai beaucoup de remerciements à vous adresser, continua-t-il ; vous m’avez évité bien des fautes. Je regardais le but, je ne voyais point les ficelles tendues qui auraient peut-être suffi pour me faire casser les membres… Dieu merci ! toute cette petite guerre puérile est finie ; je vais pouvoir me remuer à l’aise… Quant à mon choix, il est bon, soyez-en persuadée. Dès le lendemain de mon arrivée à Plassans, j’ai cherché un homme, et je n’ai trouvé que celui-là. Il est souple, très-capable, très-actif ; il a su ne se fâcher avec personne jusqu’ici, ce qui n’est pas d’un ambitieux vulgaire. Je n’ignore pas que vous n’êtes guère de ses amies ; c’est même pour cela que je ne vous ai point mise dans la confidence. Mais vous avez tort, vous verrez le chemin que le personnage fera, dès qu’il aura le pied à l’étrier ; il mourra dans l’habit d’un sénateur… Ce qui m’a décidé, enfin, ce sont les histoires qu’on m’a contées de sa fortune. Il aurait repris trois fois sa femme, trouvée en flagrant délit, après s’être fait donner cent mille francs chaque fois par son bonhomme de beau-père. S’il a réellement battu monnaie de cette façon, c’est un gaillard qui sera très-utile à Paris pour certaines besognes… Oh ! vous pouvez chercher. Si vous le mettez à part, il n’y a plus que des imbéciles à Plassans.

— Alors, c’est un cadeau que vous faites au gouvernement, dit en riant Félicité.

Elle se laissa convaincre. Et ce fut le lendemain que le nom de Delangre courut d’un bout à l’autre de la ville. Des amis, disait-on, à force d’insistance, l’avaient décidé à accepter la candidature. Il s’y était longtemps refusé, se jugeant indigne, répétant qu’il n’était pas un homme politique, que MM. de Lagrifoul et de Bourdeu, au contraire,