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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Compan. Puis, de fil en aiguille, je lui ai parlé de notre évêque. C’est un bien brave homme que monseigneur Rousselot. Elle ignorait son âge. Je lui ai dit qu’il a soixante ans, qu’il est bien douillet, lui aussi, qu’il se laisse un peu mener par le bout du nez. On cause assez de monsieur Fenil, le grand vicaire, qui fait tout ce qu’il veut à l’évêché… Elle était prise, la vieille ; elle serait restée là, dans la rue, jusqu’au lendemain matin.

Mouret eut un geste désespéré.

— Dans tout cela, s’écria-t-il, je vois que tu causais toute seule… Mais elle, elle, que t’a-t-elle dit ?

— Attendez donc, laissez-moi achever, continua Rose tranquillement. J’arrivais à mon but… Pour l’inviter à se confier, j’ai fini par lui parler de nous. J’ai dit que vous étiez monsieur François Mouret, un ancien négociant de Marseille, qui, en quinze ans, a su gagner une fortune dans le commerce des vins, des huiles et des amandes. J’ai ajouté que vous aviez préféré venir manger vos rentes à Plassans, une ville tranquille, où demeurent les parents de votre femme. J’ai même trouvé moyen de lui apprendre que madame était votre cousine ; que vous aviez quarante ans et elle trente-sept ; que vous faisiez très-bon ménage ; que, d’ailleurs, ce n’était pas vous autres qu’on rencontrait souvent sur le cours Sauvaire. Enfin, toute votre histoire… Elle a paru très-intéressée. Elle répondait toujours : « Oui, oui, » sans se presser. Quand je m’arrêtais, elle faisait un signe de tête, comme ça, pour me dire qu’elle entendait, que je pouvais continuer… Et, jusqu’à la nuit tombée, nous avons causé ainsi, en bonnes amies, le dos contre le mur.

Mouret s’était levé, pris de colère.

— Comment ! s’écria-t-il, c’est tout !… Elle vous a fait bavarder pendant une heure, et elle ne vous a rien dit !

— Elle m’a dit, lorsqu’il a fait nuit : « Voilà l’air qui