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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

-haut… Je t’en supplie, Ovide, laisse-moi garder ce qui reste. Ça ne fait pas de tort à la propriétaire, puisque, de toutes les façons, c’est perdu pour elle.

— Ma sœur est ce qu’elle est, répondit tranquillement le prêtre ; mais je veux que ma mère soit une honnête femme. Vous m’aiderez davantage en ne commettant pas de pareilles actions.

Elle dut tout rendre, et elle vécut dès lors dans une haine farouche des Trouche, de Marthe, de la maison entière. Elle disait que le jour viendrait où il lui faudrait défendre Ovide contre tout ce monde.

Les Trouche alors régnèrent en maîtres. Ils achevèrent la conquête de la maison, ils pénétrèrent dans les coins les plus étroits. L’appartement de l’abbé fut seul respecté. Ils ne tremblaient que devant lui. Ce qui ne les empêchait pas d’inviter des amis, de faire des « gueuletons » qui duraient jusqu’à deux heures du matin. Guillaume Porquier vint avec des bandes de tout jeunes gens. Olympe, malgré ses trente-sept ans, minaudait, et plus d’un collégien échappé la serra de fort près, ce qui lui donnait des rires de femme chatouillée et heureuse. La maison devint pour elle un paradis. Trouche ricanait, la plaisantait, lorsqu’il était seul avec elle ; il prétendait avoir trouvé un cartable d’écolier sous ses jupons.

— Tiens ! disait-elle sans se fâcher, est-ce que tu ne t’amuses pas, toi ?… Tu sais bien que nous sommes libres.

La vérité était que Trouche avait failli compromettre cette vie de cocagne par une escapade trop forte. Une religieuse l’avait surpris en compagnie de la fille d’un tanneur, de cette grande gamine blonde qu’il couvait des yeux depuis longtemps. La petite raconta qu’elle n’était pas la seule, que d’autres aussi avaient reçu des bonbons. La religieuse, connaissant la parenté de Trouche avec le curé de Saint-Saturnin, eut la prudence de ne pas ébruiter l’aventure,